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Que nous apprend la dernière saillie de Roland Garros, qui a cru innover avec sa Journée des Femmes, ponctuée de rose et de manucure ?
– Qu’une compétition sportive est ontologiquement masculine : si une journée du tournoi est « exceptionnellement » consacrée aux femmes, c’est que les autres journées sont par défaut dédiées aux hommes, chaque année. Naturellement, le tournoi peut donc être personnifié sous les traits de Roland, un homme, un vrai, puisqu’il « aime les femmes« .
– Qu’en conséquence, les caractéristiques du sport de compétition sont l’apanage des hommes : persévérance, maîtrise et dépassement de soi, victoires et disctinctions. Bon, en fait, ce n’est pas un scoop.
– Qu’en matière de compétition, les femmes gardent quand même une discipline de prédilection : les concours de beauté. Roland nous a donné « rendez-vous » : pour décrocher un rencart, seules les plus potiches vaillantes d’entre nous seront prêtes à se battre bec et ongles. D’où la pertinence du bar à ongles ! et du salon de coiffure, et du rose ! Comme c’est subtil !
A Roland-Garros, vous pensiez voir des sportives en basket ? Roland, lui, préfère les femmes qui manient le talon aiguille et pratiquent le déhanché langoureux. Arbitre de la valeur des femmes, il a choisi de valoriser les jeux de la séduction au détriment du « Jeu, Set et Match ! »
Mais l’arbitrage ne lui suffit pas, il lui faut aussi jouer et performer. L’homme personnifie déjà l’événement sportif ; devinez qui incarne le terrain de jeu passif ? La femme, bien-sûr.
Tout comme le court n° 1, « La Femme » devient tout simplement le terrain de jeu de Roland, qui annonce la couleur deux jours avant : « dans le rôle de « guest star », une terre battue rose, éphémère et totalement inédite. Le court n°1 se parera en effet de cette surface incroyable créée spécialement pour cette journée exceptionnelle ».
Le terrain de jeu « se parera » comme une starlette, puis « se dévoilera » : je frémis à l’évocation de la suite. Roland aime et honore les femmes (« honneur aux femmes« ), et elles le lui rendent bien, affirme-t-il : « I Love Roland« , qu’elles disent toutes. Really ?
Dans ce contexte graveleux, il est étonnant que Roland n’ait pas ouvert un bar à bière à côté du bar à ongles, pour que ses potes puissent eux aussi mater et honorer les femmes. Pour un sportif, Roland n’est pas très fair-play au tournoi des Galants-Machos !
Pendant ce temps, Roland Garros, le vrai, doit se retourner dans sa tombe…
Pour conclure, merci à la Fédération Française de Tennis pour ce formidable moment d’émotion sportive ! Ceci dit, après consultation de votre site Internet, votre Journée des Potiches ne m’apparaît pas si exceptionnelle que vous ne le prétendez : fft.fr m’apprend que vos 13 présidents successifs ont tous été des hommes, que le « Tennis au Féminin » y tient une place à part (le tennis masculin est-il donc la norme de référence ?), ponctuée de stéréotypes sur les femmes :
- – « L’adulte a beaucoup d’emprise sur [les filles], ce qui les rend parfois passives, voire dociles » (l’adulte n’aurait donc d’emprise que sur les adolescentes, pas les adolescents ?)
- – « Les femmes sont plus sujettes au stress et à l’anxiété » (que qui ?),
- – « [contre] la copine rivale, il est surtout important de ne pas perdre » (Les garçons adorent perdre ? Le cliché des femmes qui rivalisent entre elles, pour plaire !)
- – « la compétition est souvent peu naturelle chez les filles » (n’oubliez pas que le tournoi est naturellement une affaire d’hommes)
- – « J’aime m’occuper des plus jeunes… J’aime avoir une jolie tenue... » (à lire ici, section « pédo-pédagogie« , si la pléthore de papillons et de petits cœurs ne vous donne pas la nausée).
Cerise sur le gâteau, les gâteux de la FFT nous ont également concocté une rubrique beauté tennistique (je n’ai pas trouvé l’équivalent pour les hommes), avec des conseils dignes de la presse féminine consumériste : faites « briller votre tennis« , « Soyez divine sans être diva« , « assurez-vous de rester à la page« , et surtout, évitez « la tâche humide […et] l’odeur de transpiration« . Bref : soyez sexy sans être aguicheuse, soyez active en ayant l’air d’une princesse oisive.
L’usage du « skort » est recommandé, car il ressemble à une jupe féminine mais intègre un shorty (petit short), pour couper « l’herbe sous le pied des hommes qui voudraient « voir sous les jupes des filles ».
Bon, c’est assumé : la FFT ne remet pas en cause ce genre de comportements déviants. Aux femmes de s’adapter, tout en restant belles et souriantes.
En matière de féminisme et d’égalité, va falloir se retrousser les manches…
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Toutes les citations insérées ci-dessus sont malheureusement exactes, malgré leur apparence caricaturale…
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à lire :
Sur Les Nouvelles News : Roland-Garros voit les femmes en rose sur Les Nouvelles News, et le commentaire hilarant de Vanessa sous forme de lettre à Roland !
Sur Slate : Et Billie Jean créa la vraie égalité par Yannick Cochennec, journaliste spécialiste du tennis
Sur le blog Sportissima : différents articles sur le tennis féminin et le sexisme dans le monde du sport, par Fabienne Broucaret
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Edit : un extrait de quelques échanges de tweets avec la FFT !
@FFTennis je pense que comparer le tournoi à un homme qui "aime les femmes", et le terrain à une femme, exclut les femmes sans les valoriser
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Diké Déesse (@DikeJu) June 10, 2012
@FFTennis à suivre !
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Diké Déesse (@DikeJu) June 10, 2012
J’ai également envoyé une copie de ce billet par email à différents services de la FFT.
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Un an après… 6 juillet 2013, victoire de Marion Bartoli à Wimbledon ! Bravo !
Mais une déferlante de messages sexistes critiquant le look de la championne… Comme l’écrit Leopard, aurait-on l’idée de remettre en cause les découvertes d’Albert Einstein à cause de sa chevelure ébouriffée ?
Salut @FFTennis depuis un an vous n'avez toujours pas modifié les pages sexistes de votre site ! pour rappel dikecourrier.wordpress.com/2012/06/09/tou… #Bartoli
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Diké The Riveter (@DikeJu) July 06, 2013
Amélie Mauresmo n’a t’elle pas été contrainte de porter une jupette au lieu d’un short il y a quelques années? Je me souviens d’un truc dans ce goût là…..
Je ne me souviens pas. Au sujet du code vestimentaire des joueuses, voici un article intéressant lu sur Rue89 il y a quelques mois. On y lit que pour les femmes l’élégance des tenues des joueuses a toujours été primordiale, et de plus en plus leur aspect érotique, pour des raisons commerciales. C’est bien cohérent avec la rubrique « beauté féminine » de la FFT.
http://www.rue89.com/2011/10/11/pour-les-sports-de-raquette-cest-jamais-sans-ma-jupette-225456
Amélie Mauresmo est une grande championne française (ex-numéro 1 mondiale) qui n’a jamais été appréciée à sa juste valeur, d’une part parce que le tennis féminin est sous-médiatisé (sa victoire à Wimbledon en 2006 avait été éclipsée par la défaite des Bleus en coupe du monde de foot masculin), et d’autre part parce que les journalistes ont beaucoup insisté sur ses émotions. On passe beaucoup plus vite sur l’émotivité des joueurs, considérée comme passagère, accidentelle, alors que celle de Mauresmo est considérée comme structurelle, comme une faiblesse féminine.
Il y a 2 mois, Amélie Mauresmo s’est montrée intéressée au poste d’entraîneur (entraîneuse ?) laissé vacant par Guy Forget à la tête de l’équipe de France de tennis pour la Coupe Davis (tournoi masculin, l’équivalent féminin étant la Fed Cup que Mauresmo a gagnée en 2003), mais voici ce qu’en pense la presse française (AFP repris par Nouvel Obs, 20 minutes, RFI…) :
« Amélie Mauresmo: le plus beau palmarès du tennis français ferait peut-être l’unanimité si ce n’était pas une femme »
De la discrimination sexuelle assumée, une fois de plus. Un homme pour entraîner (càd diriger) des joueuses, cela ne pose pas de problème et c’est d’ailleurs la norme. Mais l’inverse, une championne pour entraîner (diriger) des hommes : inconcevable !
(repéré sur http://www.lespenseesdemanu.com/archive/2012/04/10/au-tennis-il-faut-un-penis.html et http://blog.plafonddeverre.fr/post/Une-preuve-de-sexisme-dans-le-sport)