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Harcèlement sexuel, Image, Manipulation, Médias, Photo, Représentation
Cet article de Sandrine Goldschmidt, journaliste mais aussi photographe et peintre, m’a permis de comprendre pourquoi de nombreuses images de presse illustrant le harcèlement sexuel me mettent mal à l’aise.
Pourquoi l’Express at-il choisi cette photo de visage féminin au rouge à lèvres tapageur ? Sous-entend-il que la victime avait un peu provoqué le harcèlement par une attitude immodérément séductrice ?
Je ne le pense pas. L’Express a simplement choisi le point de vue de l’agresseur pour illustrer le harcèlement sexuel. C’est le harceleur qui se représente ainsi cette bouche. On voit sa main comme si c’était la nôtre. Femmes et hommes respectueux, nous sommes identifiés de force au harceleur; sa vision humiliante de la victime s’impose à nous avec violence.
Autre exemple caractéristique chez la Voix du Nord, avec le point de vue plongeant, qui symbolise la domination de l’agresseur :
Ou encore chez Elle et Marie-Claire :
Parfois, les photos présentent un point de vue externe : on voit les corps de la victime et de l’agresseur, à qui par conséquent, nous ne pouvons plus être identifiés. Dans ce cas (cf le choix de La Lanterne ci-dessous), la photographie nous fait endosser un rôle voyeur, tout aussi désagréable : est-il nécessaire d’illustrer si crûment le harcèlement pour nous l’expliquer ?
Remarquez comme les yeux de la victimes sont toujours invisibles (cachés par les cheveux ou coupés par le cadrage). Censurer les yeux, miroirs de l’âme, revient à « objectiver » la victime, à lui donner le statut d’objet sexuel déshumanisé que son assaillant veut justement lui faire endosser.
Pourquoi se prêter à cette double manipulation de la victime (humiliation et déshumanisation) ?
Pourquoi ne pas illustrer le point de vue des victimes à la place ? La première image qui me vient à l’esprit pour représenter le harcèlement est celle du Cri de Munch : figure humaine (ni homme, ni femme), écrasée par l’angoisse, piégée par un environnement hostile et intolérable.
Je vous recommande vivement de lire l’article évoqué plus haut, qui porte sur le cinéma grand public : très souvent, grâce au scénario, des viols sont représentés comme un acte sexuel source de plaisir, pour le violeur comme pour la victime. Comme Sandrine Goldschmidt le dit si bien : « L’image prend plaisir à voir souffrir. […] On ne dénonce pas l’oppression en la reproduisant !”
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EDIT (19 juin) : dans l’espoir un peu vain d’obtenir une réaction ou un début de débat de la part des magazines cités, j’ai publié des commentaires sous les articles de L’Express, Elle et Marie-Claire.
Je n’ai obtenu qu’une seule réaction : chez Marie-Claire, qui a tout simplement effacé mon commentaire au bout de quelques jours… Chère Marie-Claire, message bien reçu : non seulement les femmes que vous représentez ne doivent pas avoir de visage, mais en plus elles doivent se taire !
Chère @marieclaire_fr, tu peux me faire taire et refuser de débattre, mais tu ne peux pas m'empêcher de te tirer la langue ! :-p
Diké Déesse (@DikeJu) June 19, 2012
Merci beaucoup pour cet article, et la mention du mien, ça fait très plaisir. Je pense que je vais faire un atelier sur la question aux rencontres féministes d’Evry !
Je crois qu’il y a effectivement un gros travail de décryptage et de sensibilisation à faire en la matière…
Ensuite il faudra s’attaquer à d’autres domaines comme la littérature. En lisant votre article, j’ai immédiatement pensé à un roman que j’ai lu quand j’etais ado : Le Vicomte de Bragelonne (Alexandre Dumas). Il me semble bien que le roi Louis XIV viole Mle de La Vallière, même si la scène n’est pas présentée comme un viol mais comme un premier rendez-vous galant.
Parfait !
MERCI ++
Bonjour, merci pour cet article.
A votre question,
« Pourquoi se prêter à cette double manipulation de la victime (humiliation et déshumanisation) ? Pourquoi ne pas illustrer le point de vue des victimes à la place ? »
La fonction de ces photos, à représenter le harcèlement sexuel du point de vue des agresseurs qui en prennent plaisir (morcellement, déshumanisation, putification des femmes) au lieu du point de vue de la victime qui en souffre, est très spécifique:
de normaliser et promouvoir le harcèlement sexuel en le représentant comme érotique, de rendre invisibles ses conséquences sur les femmes victimes, et par conséquent de soutenir le pouvoir des hommes agresseurs sur les femmes. Leur fonction est donc de renforcer la destruction des femmes par les hommes.
Ici un excellent article de radfemimages sur le sujet: http://radfemimages.wordpress.com/2012/06/13/on-liberal-media-analysis-of-the-sexualization-of-young-girls/
Les revues et magazines que vous citez sont des médias mainstream, donc par défaut, des organes de promotion et de propagande patriarcale, dont leur principale fonction est de soutenir la machine patriarcale.
Bonjour et merci pour votre analyse et votre lien. J’ai déjà lu l’article mais il me faudra plusieurs relectures pour bien intégrer la démonstration.
Les thèses du féminisme radical m’attirent beaucoup par leur dénonciation intransigeante de l’ampleur des structures patriarcales qui continuent à oppresser les femmes dans notre société. Les médias mainstream se contentent d’une approche trop factuelle, quelques statistiques d’inégalités, quelques faits-divers de violence contre les femmes, sans rechercher les causes profondes de cette oppression ni faire le lien entre les manifestations de cette oppression.
Je suis d’accord avec vous quand vous dites que les médias mainstream continuent à promouvoir le patriarcat, mais est-ce vraiment à dessein ? N’est-ce pas plutôt à cause d’un certain conformisme qui rassure, face au risque d’annihilation, d’autodestruction qui existe toujours quand on se remet en cause sans compromis ? Intrinsèquement, les individus et organisations qui ont un peu de pouvoir/d’influence tendent à protéger et justifier les postulats qui fondent leur pouvoir.
Et si c’est à dessein comme le disent les féministes radicales, est-ce vraiment le dessein de tous les hommes ou seulement des hommes ayant un minimum de pouvoir (voire aussi de quelques femmes de pouvoir) ?
Je n’ai peut-être pas encore bien compris la thèse principale des radicales, mais il me semble qu’elle implique que tous les hommes soutiennent et veulent l’oppression des femmes. Je ne peux adhérer à ce postulat qui utilise justement un mécanisme de pensée que les féministes rejettent : le stéréotype.
Complicité et laisser aller dans l’air, collusions.
Bonjour à Δίκη -Diké- (et ce blog sur lequel je tombe aujourd’hui) de la part de Θεμις -Thémis- Le talon d’Achille de la seconde m’ayant si bien inspiré le 2 juin que j’en ai changé mon titre Haro… http://susaufeminicides.blogspot.fr/2012/06/excision-feminicide-la-chaine-nevers.html
Je n’ai pas encore assez lu sur le féminisme radical. Mais mon impression c’est qu’hommes et femmes sont coincés dans un système qu’ils cautionnent, tant ils/elles sont déconnecté(e)s de qui ils/elles sont vraiment (des êtres merveilleux et respectables)… et se dénigrent les uns les autres.
Non?
Bien d’accord, les stéréotypes sexués enferment autant les hommes que les femmes dans des rôles qui ne leur conviennent pas forcément, et dans des comportements qui anticipent qu’on va être jugé à l’aune de ces préjugés.
Mais de là à dire que l’être humain est naturellement un être merveilleux… Je suis moins optimiste sur la nature humaine…
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