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Nouveau drame religieux. Cinq jours après le drame de Bruxelles, c’est à Lahore que des hommes ont craqué. Des enfants et des femmes ont été retrouvés morts dans un parc. Les auteurs du drame ont aussi succombé à leur coup de folie. Ils n’auraient pas supporté que des enfants fêtent Pâques. 

Imaginez-vous des compte-rendus d’attentats aussi indécents dans la presse ? Oui, très facilement. Nous en lisons tous les jours, généralement la rubrique « faits divers » de la presse régionale. Ces articles relatent des histoires qui se suivent et se ressemblent : une femme quitte un homme violent, il l’abat en représailles.

Un véritable terrorisme intime pour toutes les femmes en couple. Chaque féminicide conjugal, et son traitement patriarcal par la justice et par la presse, nous rappellent à la réalité : une femme qui se met en couple avec un homme prend des risques inouïs.

Dans le monde, 30% des femmes qui ont vécu en couple ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint. Une estimation minimale qui ne prend pas en compte les violences verbales, psychologiques, économiques.

Une réalité aussi morbide que monotone, heureusement égayée par nos procureurs et journalistes. Dans la rubrique « femme écrasée », on ne lit pas des compte-rendus de crimes, mais plutôt des « drames ». Drame passionnel, drame conjugal, drame de la jalousie, drame de la séparation, drame de la fin de vie… Que de variations lyriques autour d’une intrigue bien banale : elle voulait échapper à son contrôle, il l’a tuée.

Dans cet univers littéraire, le meurtrier n’est plus un simple criminel mais un « auteur » de crime. L’assassin n’a pas prémédité un crime, mais plutôt mis en scène une mise à mort. Quel talent, quelle créativité !

Un exemple de cette actualité littéraire frissonnante :

La Montagne violences conjugales

Capture d’écran La Montagne

Ce 27 mars, Morgane, une jeune femme, a fait un arrêt cardiaque à l’hôpital après avoir reçu 30 coups de couteau ou de cutter en pleine rue. Tentative d’assassinat, direz-vous ? Non ! Pour Pierre Sennes, procureur de la République de Clermont-Ferrand, il s’agirait plutôt d’une « querelle amoureuse ». Le journaliste de La Montagne, Stéphane Barnoin, en rajoute une couche : son article commence avec un relent de « dépit amoureux », et conclut sur l’hypothèse d’un coup de folie d’un étudiant qui, selon lui, « bascule subitement ». Va-t-on fantasmer des excuses similaires aux kamikazes de Paris, Bruxelles et Lahore ? Autre manque d’objectivité : le journaliste estime que cette agression reste un événement exceptionnel, « d’une rare virulence ». Il est mal renseigné : quelques jours avant, Samantha, une trentenaire, a succombé à 66 coups de couteaux à Sorbiers (à 150 km de Clermont). Sans oublier Ingrid Gonfo, poignardée de 120 coups de couteau par son petit ami, en janvier à Villeurbanne (à 172 km de Clermont).

La Voix du Nord violences conjugales

Capture d’écran La Voix du Nord

Deuxième exemple le 25 mars : une femme de 38 ans est entre la vie et la mort au CHU de Lille. D’après La Voix du Nord, une « violente dispute conjugale a éclaté dans une maison » de Verton. A nous de deviner que la femme a été rouée de coup par son concubin, militaire qui plus est. Au lieu de se concentrer sur les faits, la journaliste fait l’hypothèse de troubles post-traumatiques dûs à son métier. J’en déduis que la « dispute conjugale » est une sorte de bombe à retardement, dommage collatéral des opérations militaires de la France. Pourtant rien ne permet d’affirmer que l’homme n’était pas déjà violent en couple AVANT ses missions à l’armée. Et surtout, comment oser parler de « dispute »pour désigner des violences conjugales ? Là encore les faits sont déformés. Une dispute implique une discussion conflictuelle, alors que la violence conjugale est unilatérale. Et ici il ne s’agit pas de discussion, de paroles, mais bien de violence physique potentiellement fatale. Et encore, l’article a été rectifié après nos sollicitations sur les réseaux sociaux. Initialement il parlait d’une dispute qui « tourne mal », et d’un « coup de poing mal placé ». Comme s’il y avait des violences conjugales qui tournaient bien, et des coups de poing bien placés…

Comme d’habitude, ces articles s’intéressent avant tout à la personnalité (fantasmée) des agresseurs, tout en minimisant la gravité de leurs actes. Pendant ce temps, leurs deux victimes sont entre la vie et la mort à l’hôpital. Je cherche tous les jours de leurs nouvelles dans l’actualité. Mais les journalistes vont-ils nous tenir informé-e-s de leur sort ?

En 2016, comme d’habitude, une femme meurt tous les trois jours en France sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Cette année, 216000 femmes âgées de 18 à 75 ans seront probablement victimes de violences sexuelles et/ou physiques de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Un grave enjeu de droits humains, de justice, de santé publique, abandonné au lyrisme complice de ceux qui sont censés nous protéger ou nous informer.

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