A l’attention de Monsieur Jean Glavany
Assemblée nationale
126 rue de l’Université
75355 Paris 07 SP
Monsieur le Député,
Membre du sexe faible, je tiens à vous féliciter pour l’attention que vous portez depuis peu à la place des femmes en politique, exprimée à l’occasion de votre virile candidature au Perchoir de l’Assemblée nationale.
La parité du nouveau gouvernement nous avait bêtement fait rêver d’égalité et de reconnaissance des capacités des femmes. Heureusement, vous avez eu la gentillesse de nous expliquer que c’est «l’adéquation d’un homme pour le poste» qui compte, et que «cela ne se mesure pas à la longueur des cheveux ou de la jupe»…
Merci de m’avoir rappelé que seul un homme est légitime au poste de Président de l’Assemblée nationale. Vous auriez pu employer les termes individu, personne ou même personnalité (comme dans vos excuses d’aujourd’hui), car ils ne sont pas sexués. Mais vous avez préféré le terme « homme » pour exclure les femmes de la course au perchoir, ou plus subtilement, pour les dissuader de s’y présenter (vive les mécanismes d’autocensure, qui ont permis de limiter les candidatures de femmes à celle d’Elisabeth Guigou). En vieux routard de la politique, vous savez en effet que les mots ne sont pas neutres.
A propos de mots doux, j’ai bien pris note que vous vous êtes excusé pour la forme maladroite de vos paroles, mais pas pour leur contenu sexiste. Vos excuses de dernière minute ont donc le mérite de la cohérence : elles ne font que maintenir votre apologie de la masculinité du pouvoir.
Jusque là, votre propos est limpide. Mais votre trait sur la longueur de la jupe et des cheveux est plus ambivalent, et me plonge dans un désarroi profond. J’entends bien que les compétences d’une femme se mesurent à la longueur de sa jupe et de ses cheveux. Mais puisque ces critères sont par ailleurs disqualifiants pour les postes de dirigeants, pour quels postes sont-ils pertinents : suppléantes, j’imagine ?
En conséquence, que faire des femmes en pantalons coiffées à la garçonne (comme moi, quoi) ? Femme, je suis donc incapable de diriger ; mais mes cheveux courts et mes pantalons me disqualifient également pour les postes subalternes.
Comme vous avez bien saisi le double handicap qui me rend inapte aux postes de dirigeante comme d’assistante, je sollicite votre aide, Monsieur le Député, pour me pistonner à un poste de glandeuse dans n’importe quelle institution publique.
Je saurai me montrer à la hauteur de votre confiance, en pondant de temps en temps un rapport de 10 pages sur des sujets peu ambitieux. Je me satisferai d’un salaire de 27% inférieur à celui de mes collègues masculins, glandeurs au même niveau de flemmardise que moi, consciente du risque financier que mon état de femme fécondable fera courir à l’organisation où vous m’aurez casée.
Je ne doute pas que votre connaissance intime des rouages de notre République irréprochable, associée à votre bienveillance paternaliste, vous permettra de me dégoter un tel poste en adéquation avec mon profil de femme peu féminine (selon vos critères).
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’expression de mes sentiments dévoués à la cause patriarcale et pas du tout ironiques.
Diké
PS : cher Jean, si tu as aimé ma lettre, je te conseille de lire :
– Perchoir, candidates et complexe de Cendrillon sur Les Nouvelles News, sur la culture mâle du pouvoir
– Les stéréotypes sur le genre – Comprendre et agir dans l’entreprise (comme il compte 20 pages, tu seras sûrement tenté de demander une synthèse à ta secrétaire. Mais sincèrement tu apprendrais beaucoup en le lisant par toi-même).
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Cette lettre ouverte a également été envoyée par courriel à M Jean Glavany (sur les 2 adresses relevées sur http://jean.glavany.free.fr). Voici sa réponse reçue le 26 juin :
« Non, je n’ai pas déclaré ça. Si je l’avais dit comme ça je comprendrais votre ire. Et je la partagerais.
Mais c’était à la fin d’un long raisonnement qui disait l’inverse -en réponse à la question « Est-ce qu’une femme au perchoir ça ne serait pas un formidable symbole ? », j’ai répondu : Oui, assurément. Une femme présidente de la République aussi mais il se trouve que les primaires citoyennes qui avaient la possibilité de choisir une femme, ont choisi, largement, un homme. Et une femme premier Ministre, ce serait aussi un formidable symbole. Mais le Président a fait un autre choix.
Voilà. Ca veut dire qu’en démocratie, le fait d’être un homme ou une femme ne devrait pas être un critère majeur – je suis pour l’indifférence à la différence – mais bien la capacité et l’aptitude à exercer une fonction.
Et non pas ces autres critères qui étaient, je l’avoue, maladroits. Mais je ne suis pas du tout de ces « machos » que vous poursuivez avec courage –et avec mon soutien !
Cordialement.
Jean Glavany »