Ce week-end a eu lieu une manifestation de grande ampleur pour les droits de l’homme. Une foule particulièrement nombreuse (plusieurs centaines de participants selon les organisateurs, 3 individus selon la police) s’était rassemblée sur le parvis du Panthéon.
Croyant à une manifestation pour les droits humains, notre journaliste s’était rendue sur les lieux, au cœur du 5ème arrondissement de Paris. Sur place, elle a découvert qu’il s’agissait de défendre les privilèges masculins.
Les manifestants ont dénoncé la domination des femmes dans les espaces publics et dans les lieux de pouvoir et de savoir. Les conséquences sociétales du « grand complot féministe » seraient dramatiques, voire apocalyptiques. Mais personne n’ose briser l’omerta qui règne, à les entendre.
Un premier manifestant s’approche. Il dit agir en réaction à la trop forte mobilisation des femmes contre le harcèlement de rue, ces derniers mois. Très vindicatif, le vieillard se présente même comme une victime chronique de « harcèlement visuel » perpétré par les passantes. « Nous les hommes sommes perdants à tous les coups que nous tentons. Taciturnes, les passantes nous envoient un message de dédain particulièrement humiliant. Souriantes, elles nous provoquent par des promesses implicites qu’elles ne tiennent pas ensuite. […] Surtout en ce mois à Paris, je me sens terriblement harcelé par ce que je vois dans les rues, les robes courtes, tout ce qui circule dans ces rues… ».
Après avoir consulté d’éminents spécialistes de la question, il a élaboré un véritable « code de la route » contre le harcèlement de rue, destiné aux femmes. Extrait :
- le port de jupes et shorts est toléré pour les femmes épilées, encouragé pour les femmes épilées et sexy.
- les tenues légères sont interdites pour les femmes non conformes aux standards de beauté en vigueur.
- le port d’une alliance est obligatoire pour toute femme en couple avec un homme.
- le port d’une alliance est toléré pour les femmes célibataires qui ne savent pas apprécier les galants.
- obligation d’ignorer les séducteurs si l’on porte une alliance. Toute entorse pourra immédiatement être notifiée à votre conjoint, avec inscription au fichier STIC de la police en cas de récidive.
- obligation de répondre poliment aux séducteurs si l’on ne porte pas d’alliance.
- ne pas se faire violer.
En somme, de simples règles de bonne conduite, faciles à appliquer, qui permettraient d’éviter toute ambigüité dans les relations hommes-femmes en public, et toutes les frustrations et agressions qui en découlent. D’après lui, les féministes ont tout faux lorsqu’elles imputent ces problèmes au comportement prédateur de certains hommes, et au laisser-faire bienveillant de la société. Le féminisme ne ferait qu’aviver la « guerre des sexes ».
« De quoi se plaignent-elles ? Il s’agit de mal baisées, qui nous reprochent leur condition de mal baisées. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais on n’a plus le droit de rien faire aujourd’hui : ni les violer, ni les choper, ni bientôt leur acheter du sexe. C’est contraire à tous les principes de libre-échange de notre belle Europe. Et c’est une régression par rapport aux coutumes libertines qui ont permis le rayonnement de la France. Nous sommes inquiets pour notre ego et nous exigeons une réaction du gouvernement. »
Il ajoute d’une voix qu’il veut suave : « appelez-moi Alain-Gérard si vous voulez. En tout cas appelez-moi à ce numéro, et sachez que dans les milieux bien informés, on m’appelle « le primate de la liberté » »…
Antoine, un peu guindé, témoigne à son tour :
« Les femmes gagnent du terrain, il est difficile d’échapper à leur réalité. Regardez ! Nous sommes en face de la BSG. Quand j’étudiais à l’Ecole Polytechnique, juste à côté, j’ai appris avec délices que cette bibliothèque était un haut lieu de drague étudiante. Mais lorsque je me suis pointé pour la première fois, j’ai découvert que BSG était l’acronyme de Bibliothèque Sainte-Geneviève. Je me suis senti tout émasculé et je n’ai pas pu séduire une seule étudiante ! Comment imaginer qu’un lieu de savoir universitaire pouvait porter le nom d’une femme ??? Quelle violence pour le pauvre étudiant que j’étais à l’époque ! »
« Et que dire du Panthéon, où deux femmes ont fait leur entrée cette année ? J’ai oublié leurs noms mais je suis totalement opposé à cet entrisme ! La féminisation du Panthéon va provoquer le déclassement de ce symbole républicain. »
L’ancien étudiant déclare être professeur au Collège de France, autre institution du voisinage. Très sombre, il nous fait part de ses inquiétudes professionnelles : « Les métiers de l’enseignement étaient des métiers de promotion sociale. Ils ont cessé de jouer ce rôle. La féminisation massive de ce métier a achevé de le déclasser… »
Le drame de l’homme moderne
La voix brouillée, Antoine se détourne pudiquement pour sécher une larme.
C’est alors qu’apparaît un homme hirsute, qui vient de passer trois nuits en haut d’une grue. Visiblement, il vient juste d’en descendre et n’a pas eu le temps de se laver. Malgré l’odeur, nous avons dû l’interviewer afin d’écourter ses gesticulations pour attirer notre attention. Il se présente comme le porte-parole de l’association SVP Pater Familias, bien connue pour son combat engagé en faveur des pères violents qui ne tolèrent pas le départ de leurs ex-conjointes. Il tient à garder l’anonymat car il est actuellement poursuivi pour « soustraction d’enfant par ascendant et complicité de violences ». Nous l’appellerons donc le « père perché ».
Interrogé sur les raisons de sa colère contre les femmes, il s’étouffe : « Je ne suis pas en colère ! J’aime les femmes ! Je suis féministe ! Mais objectivement, ces putains de connasses se servent de notre patrimoine génétique hors norme pour faire des bébés, puis réclament des pensions alimentaires quand elles nous fuient larguent. Heureusement qu’il existe des méthodes pour se faire rémunérer tout étant insolvable, sinon nous serions obligés de payer ! »
Gestion du patrimoine en bon père de famille / via Twitter – @patricjean
Joint au téléphone, le président de l’association SVP Paterfamilias s’est désolidarisé du Perché : « Nous soutenons son action mais condamnons ses propos. Les femmes sont effectivement des putains de connasses, mais il ne faut pas le dire comme ça. »
Un quart d’heure après le début de la manifestation, les manifestants se concertent. Épuisés, ils sont plutôt satisfaits de leur opération : malgré les risques terribles qu’ils ont pris dans ce quartier hostile, ils n’ont pas été attaqués. Ils regrettent même de n’avoir pas été un peu houspillés ou moqués en notre présence, pour renforcer leur crédibilité de victimes.
La tête haute, ils nous donnent rendez-vous au Palais du Luxembourg pour leur prochaine action, déjà planifiée à l’aide de leurs relations au Sénat. « Ce sera totalement improvisé et spontané », assurent-ils pourtant.
Puis ils se dirigent vers le bar à bières voisin, où un match de foot va bientôt être diffusé. Il est grand temps de passer aux choses sérieuses.
Manu doit les rejoindre dès qu’il sortira de son cabinet.
Même sur le fronton du Panthéon, les grands hommes sont dominés par une femme ! Complot ! (photo via Wikipedia)