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La plateforme filou.com e-loue.com propose un service de « location de seins » et de soins nourriciers. Peu importe qu’il s’agisse d’une annonce authentique ou d’un buzz marketing orchestré ; dans les deux cas sa publication promeut et exploite la marchandisation du corps d’une femme. Le site va en tirer des bénéfices en terme de ventes ou de notoriété.
Mais pourquoi l’annonce est-elle destiné aux couples de pères homosexuels ? Certainement pas parce qu’ils n’ont pas « la chance de pouvoir allaiter », comme le prétend l’annonce. De nombreuses femmes n’allaitent pas, par contrainte ou par choix, et s’en portent très bien, de même que leurs bébés.
Cette annonce est bien-sûr rédigée de manière à faire bondir les opposants au mariage pour tous, grâce à l’expression « n’ont pas la chance » qui victimise les homosexuels.
Cela double les chances de faire le buzz, en comptant l’indignation des féministes, assurée par l’emploi d’un vocabulaire utilitaire : est mis en avant « l’usage » d’une femme comme objet, plutôt que sa candidature à un poste de nourrice, par exemple. C’est même un corps morcelé qu’on présente, les seins étant isolés du reste du corps : dans l’intitulé de l’annonce, sur la photo et même par la comparaison morbide avec des coussins (voir en bas à droite de la capture d’écran ci-dessous).
Mais la vraie raison pour laquelle les pères homosexuels sont visés est bien plus prosaïque. Les hommes gagnent en moyenne 31% de plus que les femmes aujourd’hui en France (tous temps de travail confondus).
Maintenant qu’ils sont officiellement reconnus par la société, les couples d’hommes homosexuels vont devenir une cible marketing choyée, car les ménages de couples gays ont statistiquement un pouvoir financier bien plus élevé que les ménages constitués d’au moins une femme.
Parmi ces derniers, les couples hétérosexuels restent plus attractifs pour entreprises que les couples de lesbiennes ou les femmes célibataires.
Au bas de cette échelle de pouvoir financier se trouvent bien-sûr les femmes célibataires avec enfants à leur charge.
Or, en France, la majorité des personnes en situation précaire sont des femmes : en 2010 elles représentent 55% des 8,6 millions de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté monétaire, et en particulier 70% des travailleurs pauvres.
Cette annonce est symptomatique des inégalités qui gangrènent et structurent notre société, en donnant un pouvoir financier démesuré aux hommes. Vulnérabilisées par la précarité (et par d’autres composantes du patriarcat comme la violence), les femmes se retrouvent contraintes d’accepter l’instrumentalisation de leur corps. Plus vicieux, nous sommes encouragées à prendre l’initiative de notre exploitation, au nom de la liberté d’entreprise.
Quant aux médias, s’ils relèvent les risques sanitaires d’une telle pratique pour les bébés, ils n’ont aucune pensée pour les risques courus par la mère, pendant la période d’allaitement ou après, lors du sevrage. Dès lors qu’une femme offre « librement » son corps à la vente, pourquoi se soucier d’elle, de ses sentiments, sa santé et son point de vue ?