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Collusion, Conseil Constitutionnel, France, Gérard Ducray, Harcèlement sexuel, Politique, Question Prioritaire de Constitutionalité, République
L’événement du premier week-end de mai 2012 était sans doute l’abrogation du délit de harcèlement sexuel par le Conseil Constitutionnel (CC), pour cause de définition du délit trop floue.
La demande avait été déposée le 29 février dernier par un certain Gérard D, mû par un soudain désir de rigueur judiciaire, et certainement pas dans le but de manipuler la justice qui l’avait condamné pour ce délit.
Tous les rapporteurs n’avaient pu que souligner la rapidité de réaction du Conseil Constitutionnel, qui y a répondu en 2 mois. Après tout, cela ne faisait que 20 ans (soit depuis l’entrée en vigueur de la loi) que l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT) dénonçait les imprécisions de cette loi, sans arriver à se faire écouter.
Collusion intolérable entre l’intéressé et les Sages
Mais pourquoi le Conseil Constitutionnel s’obstine-t-il à appeler Gérard Ducray par son prénom ? S’agit-il de pudeur ou de la volonté de préserver l’anonymat d’un citoyen lambda ? Certainement pas. Entre vieux amis, on se tutoie et on ne fait pas de chichis. Gérard et les Sages se connaissent de longue date et sont d’anciens collègues : Gérard Ducray, appelons-le Gégé, est un ancien élu et un ancien membre du gouvernement Jacques Chirac (membre du CC), lorsqu’il était Premier Ministre sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (également membre du CC).
Il est vrai que cela fait un bail. Mais les institutions de la République sont ainsi faites. Difficile pour nos carriéristes politiques de délaisser leurs privilèges responsabilités de vieux routards du pouvoir.
Si Chirac et VGE n’ont pas siégé lors de l’examination de la question déposée par Gégé, au moins deux autres membres du CC présentaient aussi une étrange proximité avec lui : Secrétaire d’Etat au Tourisme, Gégé a également cotoyé Jacques Barrot, qui était alors Secrétaire d’Etat au Logement et Hubert Haenel, alors conseiller pour les questions judiciaires à l’Elysée. Les deux compères ne se sont pas gênés pour siéger à l’examination de la question de Gégé.
Cette heureuse coïncidence, soulignée par la presse et les blogueurs judiciaires et féministes, ne les a visiblement pas empêché de décider qu’elle n’aliénait en rien leur impartialité. A moins qu’ils n’aient estimé que le calendrier électoral du week-end éclipserait leur impudence…
Ils se trompaient. Hier, accélérant encore leur rythme de travail, les Sages sont revenus sur leur décision, admettant qu’elle était tout simplement… anticonstitutionnelle.
Si les Sages se sont montrés impulsifs, on ne peut que louer leur rigueur morale et leur capaciter à se remettre en cause.
Il a donc été décidé, certes un peu tard, de différer l’abrogation de la loi de 1992 sur le harcèlement sexuel, afin de laisser le temps aux Parlementaires de la rerédiger. Notons que c’était exactement ce qu’avait demandé l’association AFVT en avril : «Le délit de harcèlement sexuel tel qu’il est actuellement rédigé permet des dérives».
Les dessous d’une décision sexiste et cynique
Sollicité par nos envoyés spéciaux, un ou une des 5 autres membres du CC n’ayant pas collaboré avec Gégé auparavant nous a confié, sous couvert d’anonymat : « c’est un soulagement pour notre conscience. Le 4 mai dernier, le débat avait été très vif au Conseil. Certains d’entre nous se portaient personnellement garants de la capacité de Gérard D à honorer une femme en tout bien tout honneur, dans la plus pure tradition de séduction à la française, d’après leurs dires. Nos arguments sur les abus d’autorités de la part d’un élu, le droit des femmes à dire non, et le fait que de nombreuses procédures légitimes étaient menacées d’annulation ont été balayés. On m’a même dit que de toute façon, ces procédures n’aboutissant pas la plupart du temps, ce serait rendre service aux victimes que de mettre fin à leurs vains espoirs plus rapidement« .
D’autres témoignages d’insiders laissaient entendre que certains des Sages avaient surtout considéré cette question de constitutionalité comme une question de puissance : « On se protège entre puissants, si vous voyez ce que je veux dire !« , aurait plaisanté un des Sages avec un rire gras, le 4 mai dernier.
Malgré ces commentaires peu reluisants et très éclairants sur la mentalité qui prévaut dans les institutions de la République, le Conseil Constitutionnel a formellement présenté ses excuses à toutes les victimes dont les procédures de plainte pour harcèlement sexuel ont été annulées irrémédiablement le 4 mai dernier. Elles vont devoir tout recommencer, si elles en ont le courage, sans pouvoir prétendre à la moindre indemnisation pour les frais engagés pour rien.
Les magistrats ont également signalé le coût pour la collectivité de ces annulations de procédures intempestives.
EDIT : pour suivre ce dossier, consulter le site Internet de l’association AVFT : www.avft.org
onou a dit:
vous êtes en droit de critique le Conseil Constitutionnel, et certainement l’abrogation de cet article de loi est plus que regrettable, mais rétablissons quelques faits:
1/ vous parlez de rapidité de réaction du Conseil Constitutionnel, 2 mois, le CC en matière de QPC a 3 mois maximum pour rendre sa décision. Qui est responsable, des parlementaires qui ne se bougent pas depuis 20 ans que la loi est remise en cause ou le CC ?
2/ vous dites que le CC appelle le requérant par son prénom : cela s’appelle anonymiser une décision.
3/ Je vous accorde que Jacques Barrot et Hubert Haenel eussent pu se déporter
4/ »Il a donc été décidé, certes un peu tard » : le CC ne choisit du moment où on le saisit…
5/ Quant à vos commentaires d »insiders », vous avez beau jeu, invérifiables naturellement
6/ »le Conseil Constitutionnel a formellement présenté ses excuses à toutes les victimes dont les procédures de plainte pour harcèlement sexuel ont été annulées irrémédiablement le 4 mai dernier » : il y a un communiqué, je ne l’ai pas trouvé ?
7/ en matière pénale, les décision du CC sont toujours à effet immédiat sauf exception (500 000 gardes à vue/an, risque de désordre)
8/une chose intéressante que vous ne relevez pas, le CC aurait pu abroger l’article de loi dans sa rédaction de 2002 qui posait problème et conserver ainsi la version d’origine (1998)
Diké, déesse de la justice a dit:
Bonjour Onou et merci pour votre commentaire constructif. Je débarque de ma constellation et vos précisions sur le fonctionnement du CC me sont utiles.
Vous avez raison de me rappeler la passivité, voire la négligence, de nos parlementaires depuis 20 ans. La saisie du CC paraît un bon moyen institutionnel de remédier aux déficiences du Parlement, mais ici on assiste plutôt à l’inverse ; le remède a des effets pervers qui confinent à l’absurde puisqu’il prive tout simplement les victimes de l’outil qui leur permettait de poursuivre le harceleur.
Cela illustre un problème institutionnel de fond, et pas seulement la passivité du Parlement.
Le harcèlement sexuel se passe généralement dans le cadre d’une relation d’autorité entre la victime et son harceleur (bien que la condition d’autorité ait été éliminée en 2002). Il faut beaucoup de courage, de persévérance et d’humilité pour tenter d’inverser une relation d’autorité face à quelqu’un qui en a abusé. L’annulation des procédures en cours par le CC place à nouveau les victimes en situation de faiblesse et certainement dans un profond désarroi.
N’est-ce pas un désordre humain et psychologique suffisamment grand pour justifier un report de la date d’entrée en vigueur de la décision ? Et si vraiment l’arguement quantitatif est seul déterminant, ne pouvait-on pas un accorder un délai plus court ? (dans le cas de la garde à vue, le délai fut de 11 mois, sauf erreur de ma part)
Ou alors comme vous le dites, on aurait pu supprimer les modifications de 2002, en soulignant la nécessité de redéfinir le délit, puisque la loi pré-2002 ne convenait pas non plus.
Ensuite, concernant le prénom, le CC a bien-sûr anonymisé la décision selon les procédures habituelles. Mais je tenais à souligner la collusion intolérable entre un homme qui veut mettre la justice à son service en profitant du fait qu’il fait partie des sphères du pouvoir.
Une fois de plus, il s’avère que des individus qui prétendent servir l’Etat et la nation considèrent que c’est l’Etat qui est à leur service. Quelle impudence en cette semaine électorale !
Pour ma part, j’ai eu l’impudence d’inventer les commentaires mis en citation dans mon billet, qui sont faux bien-sûr, de même que les excuses du CC. Il semble que le Conseil Constitutionnel n’a pas eu un seul mot pour les victimes.
onou a dit:
J’ai effectivement lu un peu rapidement la fin de votre article, le caractère ironique m’a en effet échappé.
Je suis d’accord avec vous, le désordre, d’ailleurs plus humain que financier, engendré par cette abrogation est douloureux pour les victimes.
Mais encore une fois, on est en matière pénale. Comment justifier le report dans le temps ? On continuerait pendant 6 mois à 1 an d’envoyer en prison (pour 1 an) des gens au nom d’un article pourtant jugé anticonstitutionnel et contraire aux droits et libertés fondamentaux ? Il faudrait un argument très lourd pour justifier cela. Nous ne sommes pas aux USA, on envoie pas les gens en prison comme ça fort heureusement.
Et malheureusement, c’est là qu’il faut faire du quantitatif. Pour la garde à vue, l’impacte de la décision (annulation de 50 000 GAV/mois tout de même) le justifiait semble-t-il. Pour le harcèlement, d’après ce que j’ai lu chez les spécialistes, c’est moins de 100 condamnations/an (cette loi trop flou aboutissait en effet rarement à des condamnations). Oui, je sais, les chiffres n’effacent pas la douleur psychologique.
L’idéal eu été de dire : suspendons les affaires en cours, celles-ci reprendront sur les bases de la nouvelle loi qui devra être votée dans un délai de 6 mois. Mais ça ce n’est malheureusement pas possible en droit (pas de rétroactivité de la loi).
Ou bien censurer la loi dans sa rédaction de 2002, mais cela implique de reconnaître la constitutionnalité de la loi initiale de 1994. Par ailleurs, la décision aurait eu moins de poids, et du coup le parlement ce serait moins senti obligé de réagir, et aurait pu laisser traîner l’application de la loi de 1994, non satisfaisante, encore plusieurs années. Là, face au choc, le parlement est bien forcé de se bouger enfin, car tout de même, cela fait des années que les associations féminines l’alertent sur le problème de cette loi mal ficelée.
J’aimerai bien savoir ce que les politiques, qui aujourd’hui se disent unanimement outrés par cette abrogation, ont fait pour l’amélioration de cette loi durant leur mandat de parlementaire ?
Bref problème plus compliqué qu’il n’y parait et malheureusement souvent simplifié par nos amis journalistes. Il ne reste qu’à souhaiter que le nouveau gouvernement se saisisse du problème en urgence dès les législatives achevées.
Diké, déesse de la justice a dit:
Les harceleurs sont généralement condamnés à des peines de prison avec sursis, me semble-t-il après une vague recherche sur Internet (je n’ai pas trouvé de statistiques). Je ne suis pas sûre qu’il y ait un seul homme enfermé en prison pour harcèlement sexuel.
Ce problème met au jour un dysfonctionnement profond de nos institutions (en l’occurrence le Parlement et le CC). Je souhaite aussi savoir ce que nos futurs députés en pensent, et je vais écrire aux candidats de ma circonscription pour le leur demander.
Avez-vous suivi ce qu’à fait l’AFVT et 4 autres associations : la présidente à porté plainte contre le Conseil Constitutionnel dès le 5 mai pour « grave trouble à l’ordre public » puisque « les victimes ne sont plus protégées par loi ».
La démarche vise à rendre l’Etat responsable des dégâts causés par le vide juridique pour les procédures en cours, ainsi que de tous les faits d’harcèlement sexuels qui pourraient se produire tant qu’aucune loi ne les interdit.
Voici une revue de presse intéressante à lire : http://sandrine70.wordpress.com/2012/05/12/revue-de-presse-harcelement-sexuel-sexisme-mediatique-pornographie/
Ainsi que le scan de la plainte : http://avft.org/IMG/pdf/plainte_CConstit_5mai2012.pdf
Moustache91 a dit:
@diké
Excellent article !
De tous ceux que j’ai lus ou visionnés sur le sujet, le seul qui le décortique vraiment sous cet angle-là et qui assume de répondre avec mordant aux commentaires nauséabonds et quotidiens des machos.
Merci.
PS: je rapelle @onou, que dès demain 13/06/12 (en plein milieu des législatives: encore une fois les parlementaires passent d’un extrême à l’autre, d’un laxisme qui confine à la mauvaise volonté, 20 ans, à la précipitation sous la pression civile et surtout -hélas- médiatique, ne sommes-nous pas encore sortis de la Sarkosye?!), sera réexaminé le nouvel article rédigé par les parlementaires et dont la commission chargée de l’élaborer n’a pas eu le scrupule à nouveau de prendre en compte l’expertise des assos féministes qui travaillent sur le terrain ni les recommandations de la Cour Européenne.
Diké, déesse de la justice a dit:
Bonjour Moustache91,
Merci pour vos encouragements. Je démarre ce blog et effectivement j’ai essayé d’aborder le sujet de l’égalité hommes-femmes sur un ton différent. D’autres féministes plus expertes que moi tiennent déjà des blogs nourris et argumentés, que je lis depuis des années (en particulier le Blog d’Olympe).
Mais j’ai l’impression que ces blogs sont principalement lus par des personnes déjà sensibilisées à ces questions. J’espère par la provocation amener d’autres personnes à réfléchir sur l’égalité hommes-femmes, trop souvent considérée comme déjà acquise en France.
Quant à la presse généraliste, elle reste souvent trop factuelle sur ces questions, qui nécessitent pourtant un jugement moral. Typiquement les aggressions violentes contre les femmes sont traitées comme des faits-divers et pas comme une manifestation du sexisme latent dans notre société.
Gamita Christine a dit:
Si c’est le démarrage, bravo pour le départ.
Quant au Conseil, et bien, nous voilà bien montés avec un nouveau membre. Tous Présidents de la république passés, membre de droit… Dire que le petit bleu, tapait sur l’épaule de son compère déessekyste en lui disant « nous sommes pareils » !
Un article commis sur QPC virant du code pénal le fait de masse du harcèlement, déjà que les féminicides n’y figurent nullement, continuant à se noyer dans les approximations… http://susaufeminicides.blogspot.fr/2012/05/feminicide-du-harcelement-sexuel-en-qpc.html