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Sur le site Seduction By Kamal (SBK), un article intitulé « Comment Bien Baiser » encourage les hommes à violer les femmes. L’auteur, Jean-Baptiste Marsille, y accumule des mythes sur le viol et l’absence de valeur du consentement, ainsi que des amalgames toxiques entre sexualité et violence érotisée. Il se fait ainsi l’avocat des violeurs et encourage d’autres hommes à le devenir.

Voici à présent le point de vue des violées : témoignage et analyse d’une femme qui a subi un viol dans ces conditions.

Elle dénonce aussi l’industrie des pick up artists, mais aussi des sites de rencontre, qui exploitent et promeuvent la culture du viol à des fins mercantiles.

[Edit – 10-09-13 : ce texte est la propriété de la personne qui l’a écrit. Nul ne peut le reproduire sans son autorisation (que vous pouvez demander par mon intermédiaire)].

Mon violeur est un jeune homme de 26 ans, doctorant en électronique et ingénieur diplômé d’une grande école. Bref, sans doute la fierté de Papa-Maman. De ce que je sais de lui, il semble issu de la bourgeoisie.

C’est arrivé il y a juste quelques mois. C’était la première fois que j’allais sur un site de rencontre… Sur le site, c’est le seul qui ne m’a pas paru trop «Kéké» (pas du tout même) et qui semblait intéresser par tisser des liens aussi amicaux (il disait qu’il était nouveau et voulait rencontrer du monde). C’est aussi le seul à avoir commencé à discuter tranquillement, sans me demander de photo ou à quoi je ressemblais.

Quand j’ai fait sa connaissance au bar « Chez Félix », il m’a fait un peu penser à un mix entre Sheldon Cooper et Raj, de Big Bang Theory. Timide, très inhibé, passionné de sciences, un peu crispé… il avait l’air vraiment inoffensif quand je l’ai rencontré, et plutôt gentil. Personne en le voyant ou en discutant avec lui au quotidien ne pourrait le prendre pour un violeur. PERSONNE. Il m’avouera plus tard avoir extrêmement du mal à parler de sexualité et a employé de simples mots comme « pénétration », « clitoris », etc. Typiquement, il devait entrer dans la cible de SBK : inexpérimenté, sans doute puceau, nul « pour la drague », probablement mal dans sa peau, etc.

Au milieu de la conversation, il m’a soudainement embrassée. Ça ne m’a pas déplu. Je lui ai proposé de venir chez moi, avec une idée en tête : coucher avec lui.

Sur le chemin, il s’est fait brutal dans ses manières, s’agrippant avec force à mon corps, m’embrassant violemment. Bizarrement, ça me laissait assez indifférente : derrière la passion feinte, tout était mécanique. Je n’ai pas pressenti le danger. Il faut dire que j’ai eu plusieurs partenaires sexuels et plusieurs fois des relations sexuelles avec des hommes que je connaissais peu. Je n’ai jamais eu de problèmes. De plus, j’étais dans une très bonne période, en mode un peu «bisounours» et aimant tout le monde.

Quand nous sommes rentrés dans ma chambre, tout a basculé. Une chose effrayante m’a beaucoup marquée : jusque là, il avait un regard doux ; une fois passé le seuil de ma chambre, son regard s’est durci, très fortement. Ce regard, je n’oublierai jamais.

Ce qui a suivi a été une suite d’humiliations sexuelles… Des ordres (« fais moi une fellation », « A quatre pattes ! »), des actes dégradants (me tenir et pousser fermement la tête pour que je le suce), puis finalement une pénétration vaginale contre mon consentement. Tout cela a donné une atmosphère pornographique particulièrement sordide, à un moment que je voulais agréable et bienveillant. Jamais il ne s’est soucié de ce que, moi, je voulais ou ne voulais pas. Au bout de 20 minutes, j’ai enfin réussi à mettre fin à tout ce cirque, mais ça m’a paru interminable.

Je connais plusieurs femmes qui m’ont dit – parfois en pleurs – avoir obéi automatiquement à des hommes qui leur donnaient des ordres sexuels. C’est ce qui m’est un peu arrivée au début, avant que je me ressaisisse. Je ne me l’explique toujours pas. Peut-être le fait qu’on nous apprenne à toujours être gentille, conciliante, serviable ? Dans tous les cas, pour elles, comme pour moi, ce fut extrêmement violent. D’où l’importance du désir et du consentement enthousiaste. Céder n’est pas consentir.

J’ai souhaité, avant qu’il ne parte, en discuter avec lui. Il m’a répondu de manière froide, méprisante, sans même me regarder : « Je n’ai pas envie de bavasser dans le vide ». Et il s’en est allé.

Je me suis retrouvée alors seule, avec juste mes larmes pour pleurer.

Ce jour là, j’ai vraiment compris que violences sexuelles et sexualité n’ont rien à voir. De loin, de l’extérieur, ça se ressemble, mais c’est de nature opposée. Avec tous mes partenaires précédents, expérimentés ou inexpérimentés, connus depuis des années ou depuis seulement quelques heures, j’avais réussi à crée une connexion, charnelle et sensuelle. Là, tous les actes de mon violeur étaient froids, mécaniques, dépourvus de signification. Décidément, avoir une relation sexuelle, ça n’a rien à voir avec le fait d’être utilisée sexuellement comme une poupée gonflable. Je voulais avoir une relation intime, du plaisir, partager quelque chose… pas subir un viol !

Par la suite, j’ai un peu échangé avec lui par mails… Il ne m’a pas forcée, m’a-t-il dit. Pourtant il est rentré sans toquer, si je puis dire, et il m’a pris la tête pour m’obliger à le sucer. Heureusement je me suis dégagée… mais si j’avais été paralysée par la peur (ce qui aurait été le cas il y a quelques années), en aurais-je eu la force ? Je ne pense pas. Tout comme je n’aurais jamais pu arrêter la pénétration. Heureusement que j’avais déjà lu des articles féministe sur le viol au moment où ça m’est arrivé, qui m’ont permis de l’arrêter. Trop tard , sans doute, mais je suis persuadée qu’il y a quelques temps, je n’aurais pu rien faire du tout.

Comment aurai-je vécu ça, il y a quelques années ? Imprégnée d’idées sexistes et de haine de moi-même, j’aurais sans doute culpabilisé, ressenti de la honte, et je me serais sans doute dit « c’est tout ce que tu mérites ! Il t’a traitée comme ce que tu es : une salope et un déchet ! ». Ca m’aurait sans doute détruite d’avoir été traitée de manière aussi humiliante. Avec mes idées féministes et le soutien de mes amies, j’ai pu aller de l’avant !

Par mail, il m’a aussi dit que pour lui aussi, « ça avait été dur » et qu’on était tout simplement « incompatibles sexuellement ». Balivernes ! ! ! PERSONNE n’aime être utilisé sexuellement. Certaines femmes aiment les jeux de domination et les trips SM, mais il s’agit de jeux de rôle qui miment la violence et la domination, dans un cadre consenti. Rien à voir avec ce que j’ai vécu.

Et pourquoi il dit que cela a été dur pour lui ? Parce que je n’ai pas apprécié d’être traitée comme un objet à sa disposition ? Ca, c’est la meilleure ! C’est aussi à ce moment là qu’il m’a confié que c’était très dur pour lui d’écrire ces mails car il fallait parler de sexualité.

A-t-il lu l’article de Jean-Baptiste Marsille sur « Comment bien baiser ? » ? Je n’en sais rien, mais en tout cas, il a suivi ses conseils à la lettre. Il m’a donné des ordres. Il m’a fait descendre vers son sexe pour que je le suce, il ne m’a pas demandé s’il pouvait me pénétrer. Il m’a baisée comme une « fille de joie », sans jamais se soucier de ce que je voulais ou ressentais (et entendons-nous bien : je pense qu’aucun être humain ne mérite ça, y compris contre de l’argent). Il m’a montré que je n’avais pas le choix, ça oui !

Il a pu aussi très bien apprendre ces conseils en s’abreuvant de porno. L’article sur le site de Séduction by Kamal n’est qu’une transcription de ce que l’on voit dans ces films.

Toujours est-il que j’ai vécu, de l’autre côté de la barrière, la « bonne baise » selon ces messieurs « les séducteurs ». Non ça n’a pas été une bonne expérience. Je ne me suis jamais sentie aussi humiliée et honteuse. Mais Kamal ou J-B vont sans doute me dire que je devais savoir à quoi m’attendre, n’est-ce-pas ? Soit parce que je suis une salope (j’ai invité un quasi-inconnu dans ma chambre) soit parce que je suis une coincée du cul (je n’ai pas su apprécier « la bonne baise »). Sachez messieurs les pick-up artists que personne n’aime être traitée comme de la merde, y compris les femmes. Aussi étonnant que cela puisse vous paraître, ce sont des personnes comme vous, pas les créatures mystérieuses qu’on vous décrit, qui aimeraient qu’on les contrôle ou qu’on les dénigre.

J’ajouterais aussi que ces sites de rencontre pourris font bien en sorte que nous les femmes, soyons traitées de la sorte. En effet, les hommes doivent payer, alors que c’est gratuit pour les femmes. Les hommes en veulent donc pour leur « dû ». Ils payent, ils exigent d’en avoir ce pour quoi ils ont payé : l’accès aux femmes, qui représentent la marchandise.

Voilà, j’ai rien à rajouter… mon violeur était un garçon de bonne famille, consciencieux dans sa thèse, pas un taré au coin de la rue qui vous attaque au couteau. Il ne ressemble pas à un monstre, c’est juste un mec lambda, qui a oublié – comme la masculinité l’exige – comment on ressentait de l’empathie pour autrui.

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à lire aussi : La Parade des violeurs est le Silence des violées

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Cette page est destinée à libérer la parole des femmes qui n’osent pas ou ne peuvent pas s’exprimer habituellement sur les violences qu’elles subissent. Seuls les témoignages et les messages bienveillants seront publiés : les commentaires qui défendent la propagande du viol tout en se permettant de juger les femmes violées ne seront PAS publiés (Pourquoi ? Parce que).