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Le procès du Carlton vient enfin de commencer, et pour la première fois DSK doit répondre de violences misogynes au tribunal. Malgré l’accumulation des affaires DSK, certains semblent s’obstiner à défendre le violeur accusé de proxénétisme aggravé.

Ce tweet nous rappelle certains principes fondamentaux du patriarcat, à savoir:

  • Impunité de l’agresseur au nom du respect de la vie privée.
  • Compassion envers l’agresseur dont la vie privée a été « violée », crime apparemment plus grave que les viols réellement subis par les victimes
  • Mépris envers les victimes et négation des violences

Apparemment les victimes de cette affaire sont Dodo la Saumure, le proxénète ami des médias et fournisseur de « filles » pour DSK, Eiffage, entreprise qui aurait payé les soirées et les prostituées à son insu, et enfin DSK lui-même, selon Cambadélis.

Pas de mots, pas de compassion pour les victimes, qui ont pourtant eu le courage de dénoncer les violences subies ou observées, malgré le déni systématique et médiatique des soutiens de DSK.

L’interview de Cambadélis peut être visionnée sur le blog de l’intéressé (à partir de 05’52). Des propos cohérents depuis au moins juillet 2013, et révoltants quand on pense que l’homme est premier secrétaire du Parti Socialiste, vice-président du Parti Socialiste Européen, et député de Paris. Un homme politique à l’échelle parisienne, française et européenne, à défaut d’avoir la stature mondiale de son ex-mentor DSK.

Cambadélis a prouvé qu’on peut usurper ses diplômes universitaires, être condamné à plusieurs reprises pour emploi fictif et abus de confiance et, malgré tout, être élu et réélu. Faute de compétences ou de probité morale, les relations et l’entre-soi suffisent pour accéder au pouvoir, à condition d’être un homme.

Contrairement à ce qu’il affirme, Cambadélis ne défend pas un ami mais bien ses propres privilèges, ceux qui lui ont permis de se maintenir au pouvoir, malgré ses déboires. Les mêmes privilèges qui ont permis à DSK de bénéficier de ce réseau de proxénétisme. Il est vital pour Cambadélis de présenter ce système politique comme anecdotique et terminé : « Tout ça c’est derrière nous« , « je ne veux plus y revenir« , « c’est une affaire privée« .

Voilà pourquoi les victimes passent à la trappe. Non pas parce que Cambadélis a été naïvement dupé par son « ami », mais parce qu’il est lui-même un outil et un bénéficiaire de ce système.

Du coup les propos de Cambadélis ne nous étonnent pas vraiment (même si nous les avons vivement dénoncés sur Twitter, car ils sont extrêmement graves). En revanche la légèreté de Guillaume Durand, le journaliste qui « anime » (c’est beaucoup dire) l’interview, est impardonnable.

Guillaume Durand n’a pas mentionné une seule fois le mot « proxénétisme », chef d’accusation pour lequel DSK encourt pourtant de la prison ferme.

Comment a-t-il réussi ce tour de force ? Comment désigne-t-on le proxénétisme quand on ne veut pas froisser DSK et Cambadélis ? En 2011, les journalistes disaient « parties fines ». Aujourd’hui, l’omerta qui régnait dans la presse et dans l’entourage de DSK a fini par se briser. Alors on ne dit plus grand chose : Guillaume Durand parle de « sexualité particulière » au début, puis de « cette histoire-là » et enfin de « ça« , tout simplement, lorsqu’il pose ce qu’il présente comme « la question fondamentale » du procès :

« Question : est-ce que vous pensez que cette filière a été organisée, j’allais dire à votre détriment, à l’époque où vous jouiez avec Pierre Moscovici un rôle politique auprès de lui, et tous ceux d’ailleurs qui soutenaient la candidature de Dominique Strauss-Kahn, sciemment par Dominique Strauss-Kahn, pour au fond qu’il puisse à la fois avoir sa sexualité et en même temps échapper discrètement à ce qui s’était passé au Fonds Monétaire… »

« non mais c’est ça le cœur du procès parce que, pardonnez-moi, soit il est client, je ne veux pas vous interrompre d’une manière agressive, mais soit il est client, et effectivement bon il est client, soit c’est lui qui a organisé ça pour essayer de pratiquer la sexualité qu’il pratiquait au fond d’une manière clandestine par rapport à ses lieutenants politiques dont vous étiez l’un des ténors ? C’est quand même… »

Une question insipide et ennuyeuse, à laquelle Cambadélis ne répond pas, si ce n’est pour couper la parole à Durand, et nous épargner ainsi notre temps.

Une question cache-sexe surtout. Nous ne voulons pas savoir si Cambadélis savait ou non que DSK se fichait de lui.

Nous voulons que le procès ne soit pas maquillé en nouveau scandale de personnalités et de mœurs. Nous voulons que soient décryptés les rouages et les enjeux de ce système de corruption, de collusion et de confiscation du pouvoir qu’a mis au jour l’affaire du Carlton.

Des hommes politiques et des hauts fonctionnaires (de la police) sont accusés. Des entreprises sont impliquées, pour avoir financé (Eiffage), organisé (une agence événementielle) ou hébergé (l’hôtel Carlton) les voyages et les soirées de DSK. Comment en sont-ils arrivés là ?

Eiffage prétend avoir été victime d’un de ses directeurs de filiale, David Roquet, et avoir subi un préjudice financier de 50000 EUR de dépenses indues à partir de 2009. David Roquet a contesté cette version et raconte qu’organiser ce type d’événements faisait bien partie de ses fonctions, que la facturation était transparente.

Quel est le véritable préjudice subi par Eiffage : la perte de 50000 EUR, ou la perte d’un obligé à l’Elysée, lorsque DSK dut renoncer à la présidentielle ? D’autant plus que la somme est dérisoire comparée aux budgets des marchés publics : ainsi le seul chantier du Grand Stade de Lille Pierre-Mauroy a rapporté 440 millions d’euros à Eiffage, lors de l’attribution du contrat en février 2008… dans des conditions si douteuses qu’elles lui valent un autre procès à rebondissements.

Or Eiffage se targue d’avoir volontairement adhéré au Pacte Mondial en 2005, ce qui l’engage à respecter dix principes relatifs aux droits de l’homme, aux normes du travail, à l’environnement et à la corruption, notamment :

  • 4. Soutenir l’élimination de toutes les formes de travail forcé et obligatoire
  • 6. Éliminer la discrimination en matière d’emploi et d’exercice d’une profession
  • 10. Agir contre la corruption sous toutes ses formes.

Peu après l’adhésion, des dirigeants d’Eiffage ont pourtant contraint des femmes prostituées à satisfaire les exigences de DSK. En guise de développement durable, il s’agissait plutôt de créer un climat favorable aux affaires :

« Eiffage s’est affairé à dire qu’il s’agissait d’une pratique d’un responsable local, sans lien avec la société elle-même », remarque Grégoire Théry, du Mouvement du Nid, qui aide les prostituées. Mais pour lui, cette pratique est « culturelle ». « Il est largement admis dans les milieux d’affaires de conclure un contrat par une offre prostitutionnelle, notamment là où il y a des contrats entre public et privé, et des appels d’offres. »

Un obstacle de plus à l’égalité homme-femme en entreprise. « Quand on conclut l’affaire dans un bordel ou une chambre d’hôtel », « c’est une affaire de mecs », dit-il.

Dans cette culture, les hommes sont décisionnaires et bénéficiaires de privilèges indus. Les femmes sont accessoires, à la fois outils de manipulation et objets de convoitise.

Voilà peut-être la véritable signification de « la main invisible du marché » libéral. Elle n’est pas un mécanisme autorégulateur de l’offre et de la demande. Elle désigne l’ensemble des mécanismes discrétionnaires, et surtout discrets, qui influencent les décisionnaires, à l’insu des autres parties prenantes.

Et dans cette même interview, DSK passe toujours pour « un très bon analyste de la situation économique mondiale » sans faire sourciller le journaliste.

La main invisible n’est pas près de s’arrêter de manipuler nos affaires.

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